lundi 2 août 2010

Ce dont je me souviens de Bourguiba

Je me souviens très certainement de la mort de Bourguiba, comme tout le monde.
Je crois que chacun d'entre nous se souvient de l'endroit où il était et de ce qu'il faisait au moment où nous avons appris le décès du grand homme. Tout comme tout le monde se souvient de l'endroit où il se trouvait et ce qu'il faisait au moment de l'effondrement des Tours le 11 septembre.
Je ne fais pas de plaidoyer pathétique, ni de la sous-politique.
Je veux vraiment me souvenir de ce dont je me souviens.
Je me souviens, enfant, des extraits quotidiens de ses discours, je me souviens de ce rituel paternaliste, me souviens que cela organisait la journée, la soirée, que ça voulait dire que c'était l'heure du journal télévisé, qu'on irait se coucher dans une heure à peu près.
Je me souviens des vidéos en été où on le voyait se baigner à Monastir.

Je me souviens des émeutes du pain, notre maison avait été attaquée et mon grand-père avait tiré sur l'un des assaillants pour faire fuir la foule qui voulait pénétrer chez nous, je me souviens de la peur, je me souviens des jets de pierres sur notre voiture et des gens amassés sur le pare-brise de ma mère qui tentait de foncer dans le tas pour que nous puissions nous échapper.
Je me souviens de la maison de ma tante, pas loin de l'Avenue de la Liberté, nous y étions tous réfugiés et c'était la première fois que nous dormions avec mes parents ailleurs que chez nous, dans une autre maison, je crois aussi que c'est bien la seule fois où nous avons passé la nuit, en famille, ailleurs que dans notre maison.

Je me souviens de la peur. Et des vains efforts de ma mère pour calmer mon angoisse.


Je me souviens que nous attendions que Bourguiba parle à la télé, parce que nous savions que Bourguiba allait nous sauver. Et Bourguiba a parlé et les émeutes se sont arrêtées.
Nous sommes sortis alors, avec mes cousins, nous sommes sortis acclamer Bourguiba.
Dans mon souvenir je crois l'avoir vu, ou peut-être était-ce juste sa voiture, j'avais cinq ans et mon cousin me portait sur ses épaules et j'ai scandé dans la rue "Yahia Bourguiba" et je me souviens l'avoir scandé avec conviction et joie parce que je pensais, moi, ce jour-là, que nous rentrions chez nous grâce à lui.
Et en rentrant à la maison, il y avait la vitre cassée, près des escaliers, une trace de tir aussi sur un mur.
Après cet épisode, mes parents ont installé du fer forgé à toutes les fenêtres.
Et depuis, j'ai une phobie indicible de la foule. Dès que je vois une foule, je tourne presque de l'œil, j'ai des sueurs froides et je suis convaincue que quelque chose de violent va arriver.
Depuis, j'ai aussi peur de tous les bruits qui ressemblent à des bruits de tir, j'ai une peur bleue des feux d'artifices et je me bouche les oreilles du début jusqu'à la fin, j'ai peur des ballons parce que j'ai peur qu'ils éclatent.
Je revois encore mon grand-père, fusil à l'épaule, tirer dans la foule et pourtant, aujourd'hui encore, dans ma tête, ce n'est pas mon grand-père qui nous a sauvés, c'est Bourguiba.

Plus grand qu'un grand-père, un père. Le Père de la Nation.


Il y a un orphelinat très connu en Tunisie, ça s'appelle les Enfants de Bourguiba.


Et le reste est littérature.

4 commentaires:

  1. والدك كان يملك سلاحا ؟

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  2. oui, mon père est chasseur, c'était un fusil de chasse; mais mon père n'était pas avec nous, il était resté coincé à son bureau, mon grand-père, chasseur lui aussi, a réussi à éloigner les émeutiers qui tentaient d'entrer.

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  3. et pourquoi a-t-on attaqué votre maison??

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  4. on attaquait tout ce qui était bourgeois. Tout ce qui représentait la classe plus que moyenne, les villas, les voitures, etc.

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