mardi 26 novembre 2013

Les Belles Déceptions

Il existe un texte de Yasmina Reza, plus connue pour ses pièces de théâtre à succès et d'ailleurs très brillantes; un texte qui s'appelle "Une Déception".
C'est un père qui raconte à quel point il est déçu par la façon dont sa famille a évolué mais qui est surtout déçu par son fils. Déçu car son fils était "un homme heureux".
"Comment ai-je pu, moi, engendrer, un homme heureux?"
Le bonheur pour le personnage de Reza n'est que l'expression de la bêtise.
J'y repense en ce moment avec l'approche des fêtes, c'est, communément, le moment de dresser le bilan.
Que m'a donc apporté cette année? Suis-je plus proche du bonheur?
Et si la quête du bonheur n'était finalement qu'une résistance farouche à l'intelligence? Et par intelligence, j'entends philosophie.
Les clichés disent que ceux qui ont l'esprit tranquille dorment d'un sommeil profond.
Quelle vie espère-t-on si la quête du bonheur est la quête d'un esprit endormi profondément?
Le bonheur donne-t-il un sens à la vie ou au contraire, lui retire-t-il toute signification pour n'en faire, en définitive qu'une belle déception. Une déception, mais belle.
Alfred de Musset disait "nul ne se connait tant qu'il n'a pas souffert" car nul ne voit de profondeur à sa vie tant que la souffrance n'a visité son coeur ni son esprit.
Que je plains ceux qui n'ont jamais bousculé leurs certitudes morales, leurs croyances religieuses, leurs repères sociaux. Comment vivent donc ceux dont l'esprit n'a jamais souffert? vivent-ils seulement?
Il arrive souvent que la première souffrance véritable que l'on rencontre soit une souffrance du coeur. La forme la plus douce en serait, caricaturalement, le chagrin l'amour et la forme la plus douloureuse, la perte d'un être cher.
Il arrive tout aussi souvent, dans notre société, j'en connais et vous en connaissez tous, certainement, qu'à la perte d'un être cher on se tourne vers la religion. La conscience de la mort, le sentiment de culpabilité lié à celui de la disparition, le désir de plaire à Dieu pour mourir plus tardivement (ou ne pas mourir d'ailleurs, on espère bien le paradis éternel quand on est fervent pratiquant) tous ces facteurs et bien d'autres plus complexes encore, poussent certains vers Dieu.
La religion est l'opium du peuple, oui, l'aphorisme aura parcouru des siècles sans prendre une ride et sans entamer le religieux non plus. La religion est surtout l'opium de l'esprit, on n'aura rien trouvé de meilleur pour aider l'esprit à s'endormir profondément.
Si l'esprit était déjà un habitué de ces siestes profondes, il va de soi qu'il ne demandera pas mieux que de s'adonner à nouveau à ces "grâces" matinées.
Victor Hugo, décrivant un enfant qui joue aux cotés du cadavre de sa mère a dit: "Le chagrin est un fruit ; Dieu ne permet pas qu'il pousse sur une branche trop faible."
Il en est ainsi des esprits trop faibles, le chagrin ne peut y pousser car la philosophie n'y a pas sa place.
Très vite, la "quête du bonheur" reprend le dessus, pour fuir une déception on se tourne vers une autre déception.
Le bonheur ce n'est qu'une déception avec un bel épithète, une belle déception.
Si chercher le bonheur peut donner un sens à une vie, le trouver a de forte chances de lui ôter tout sens.
Être heureux dans une vie insignifiante.

Dans la vie, il faut choisir ses déceptions.
Tout est question de choix, le libre-arbitre c'est l'enfer du choix qui vous sauve du paradis de la bêtise.

Entre la quête du sens et la quête du bonheur, il faut choisir.

Et qui sait? Les deux voies pourraient, par un hasard heureux, un jour se croiser, l'espace d'un instant, seulement car, mon Dieu, si cela s'éternisait, cela serait certainement la pire des déceptions.

Dieu a dit dans le Coran "Al Sirat al mastaqim, sirat allathin an3amta 3alayhom, lé al maghdhoubi

alayhom" ( La Voie Droite, la voie de ceux que Tu as comblés de bienfaits, non celle de ceux qui ont mérité Ta colère ni celle des égarés ! )

Ne sont probablement pas les égarés ceux que l'on croit. Je doute fort que la Voie Droite soit celle d'esprits endormis ambitionnant la déception, fut-elle belle.

Et le reste est littérature.

dimanche 27 janvier 2013

Les blessures symboliques

Les psychologues ou passionnés de psychologie parmi vous, auront reconnu le titre d'un livre très connu de Bruno Bettelheim, le célèbre psychanalyste.

Le livre parle de rituels de mutilations génitales entre autres, non pas pour les dénoncer mais pour en expliquer l'origine, les croyances primitives, les peurs primitives qui ont mené des peuples entiers à les pratiquer. Ces origines n’ont rien à voir avec les explications et prétextes actuels, que l'on parle d’hygiène pour la circoncision ou de contrôle du désir féminin pour l'excision, on est très loin des véritables motivations de ces actes barbares, et ceux qui défendent l'une ou l'autre des pratiques seraient surpris par les racines de ces traditions.

Je me suis souvenue de cette lecture qui m'avait profondément marquée ces derniers jours quand pour soigner mes récents tatouages je me suis entendue dire "je m'en vais emballer mes blessures et me coucher"
Un tatouage récent doit être enduit d'une pommade et mis sous film alimentaire afin qu'il cicatrise loin des risques d'infection.

Quand j'ai fait mon premier tatouage, je pensais être enfin guérie d'un traumatisme d'enfance qui m'a longtemps poursuivie.
Je devais avoir trois ans quand "on" a décidé de me faire percer les oreilles. Les pistolets n'existaient pas encore à l'époque et on perçait les oreilles (on on le fait certainement encore un peu partout) en chauffant une aiguille et en perçant net le lobe.
La femme qui devait opérer cet "acte" bénin et ordinaire était une couturière voisine de ma tante. Je me souviens la regarder chauffer l'aiguille et je me souviens m'être débattue comme un diable pendant qu'on me retenait pour me percer les oreilles. Elles furent percées, en effet et jusqu'à mon adolescence, je n'ai jamais pu porter de boucles d'oreilles, l'un des trous étant constamment obturé et l'autre s'étant tellement infecté après le perçage que j'en garde encore un trou béat de plus d'un millimètre.
Je pense que c'est de là que vient mon aversion pour les traditions abjectes, pour les rituels touchant à l'intégrité du corps. Pourquoi diable couper un prépuce, percer une oreille à un enfant? Il aura bien toute la vie pour se charcuter tout seul s'il le désire, s'il le VEUT.
On m'a souvent dit que je faisais un drame de cette histoire d'oreilles percées, je n'ai jamais réussi à dire à quel point ce souvenir m'était douloureux et insupportable.
Quelque temps plus tard, toujours vers mes 3ans, je devais me faire opérer d'une hernie.
Je me souviens être assise sur un lit, ma mère et ma grand-mère m'accompagnaient. Je pensais que nous étions là pour ma grand-mère, je jouais tranquillement quand une infirmière est entrée et sans rien dire m'a juste prise dans ses bras vers la salle d'opération.
J'ai commencé à hurler comme une damnée pensant qu'on me kidnappait, ma mère hurlait aussi trouvant cette façon de faire scandaleuse. On me fit entrer à la salle d'opération, les médecins étaient "cagoulés" j'avais l'impression d'entrer en salle de tortures, on me posa le masque d'anesthésie sur la bouche en me disant sournoisement "mais oui vas-y continue à crier"
Au réveil, ma mère était toujours troublée, j'avais deux énormes pansements au bas ventre. Quelque temps plus tard, le docteur m'avait enlevé les points, ça ne m'avait pas fait mal. Toute mon enfance j'ai joué à regarder  longtemps ces deux cicatrices et à passer le doigt dessus.
Il m'aura fallu avoir plus de trente ans pour prendre enfin possession de mon corps qui m'a toujours "désobéi" allergies continuelles, maladie hormonale, etc.
J'ai fait mon premier tatouage il y a juste quelques mois, sur l'épaule gauche. Pendant que le tatoueur me gravait avec son aiguille, je me suis souvenue d'un coup de l'épisode du perçage des oreilles et d'un seul coup, ce fut une révélation, un soulagement, je me suis sentie envahie par une grande sérénité et je me suis endormie sur le fauteuil.
Mais ce tatouage là, je ne le vois pas, il est dans mon dos, je dois me retourner et regarder dans un miroir pour le voir.
En réalisant mes deux nouveaux tatouages, j'ai décidé que je les voulais à un endroit visible, je veux les voir.

C'est en écrivant cette note, en ce moment même que je viens de réaliser que l'un de mes nouveaux tatouages se trouve exactement sur l'emplacement de mon ancienne cicatrice de l'opération de mon hernie.

Finalement, un tatouage, c'est plus rapide qu'une psychanalyse et moins couteux. Et probablement plus efficace, dans mon cas.

Pendant quelques jours encore, je vais enduire mes blessures de crème et les emballer soigneusement avant d'aller au lit.
Dans quelque temps, elles seront cicatrisée et ne deviendront, à l'air libre, qu'une magnifique oeuvre d'art sur mon corps.
Il en est ainsi des blessures que nous savons assumer, elle se transforment.
C'est probablement pour cela aussi que j'ai fini par me faire tatouer un papillon alors que j'envisageais une libellule.

Naître, vivre, renaître.

Et le reste est littérature.