dimanche 27 janvier 2013

Les blessures symboliques

Les psychologues ou passionnés de psychologie parmi vous, auront reconnu le titre d'un livre très connu de Bruno Bettelheim, le célèbre psychanalyste.

Le livre parle de rituels de mutilations génitales entre autres, non pas pour les dénoncer mais pour en expliquer l'origine, les croyances primitives, les peurs primitives qui ont mené des peuples entiers à les pratiquer. Ces origines n’ont rien à voir avec les explications et prétextes actuels, que l'on parle d’hygiène pour la circoncision ou de contrôle du désir féminin pour l'excision, on est très loin des véritables motivations de ces actes barbares, et ceux qui défendent l'une ou l'autre des pratiques seraient surpris par les racines de ces traditions.

Je me suis souvenue de cette lecture qui m'avait profondément marquée ces derniers jours quand pour soigner mes récents tatouages je me suis entendue dire "je m'en vais emballer mes blessures et me coucher"
Un tatouage récent doit être enduit d'une pommade et mis sous film alimentaire afin qu'il cicatrise loin des risques d'infection.

Quand j'ai fait mon premier tatouage, je pensais être enfin guérie d'un traumatisme d'enfance qui m'a longtemps poursuivie.
Je devais avoir trois ans quand "on" a décidé de me faire percer les oreilles. Les pistolets n'existaient pas encore à l'époque et on perçait les oreilles (on on le fait certainement encore un peu partout) en chauffant une aiguille et en perçant net le lobe.
La femme qui devait opérer cet "acte" bénin et ordinaire était une couturière voisine de ma tante. Je me souviens la regarder chauffer l'aiguille et je me souviens m'être débattue comme un diable pendant qu'on me retenait pour me percer les oreilles. Elles furent percées, en effet et jusqu'à mon adolescence, je n'ai jamais pu porter de boucles d'oreilles, l'un des trous étant constamment obturé et l'autre s'étant tellement infecté après le perçage que j'en garde encore un trou béat de plus d'un millimètre.
Je pense que c'est de là que vient mon aversion pour les traditions abjectes, pour les rituels touchant à l'intégrité du corps. Pourquoi diable couper un prépuce, percer une oreille à un enfant? Il aura bien toute la vie pour se charcuter tout seul s'il le désire, s'il le VEUT.
On m'a souvent dit que je faisais un drame de cette histoire d'oreilles percées, je n'ai jamais réussi à dire à quel point ce souvenir m'était douloureux et insupportable.
Quelque temps plus tard, toujours vers mes 3ans, je devais me faire opérer d'une hernie.
Je me souviens être assise sur un lit, ma mère et ma grand-mère m'accompagnaient. Je pensais que nous étions là pour ma grand-mère, je jouais tranquillement quand une infirmière est entrée et sans rien dire m'a juste prise dans ses bras vers la salle d'opération.
J'ai commencé à hurler comme une damnée pensant qu'on me kidnappait, ma mère hurlait aussi trouvant cette façon de faire scandaleuse. On me fit entrer à la salle d'opération, les médecins étaient "cagoulés" j'avais l'impression d'entrer en salle de tortures, on me posa le masque d'anesthésie sur la bouche en me disant sournoisement "mais oui vas-y continue à crier"
Au réveil, ma mère était toujours troublée, j'avais deux énormes pansements au bas ventre. Quelque temps plus tard, le docteur m'avait enlevé les points, ça ne m'avait pas fait mal. Toute mon enfance j'ai joué à regarder  longtemps ces deux cicatrices et à passer le doigt dessus.
Il m'aura fallu avoir plus de trente ans pour prendre enfin possession de mon corps qui m'a toujours "désobéi" allergies continuelles, maladie hormonale, etc.
J'ai fait mon premier tatouage il y a juste quelques mois, sur l'épaule gauche. Pendant que le tatoueur me gravait avec son aiguille, je me suis souvenue d'un coup de l'épisode du perçage des oreilles et d'un seul coup, ce fut une révélation, un soulagement, je me suis sentie envahie par une grande sérénité et je me suis endormie sur le fauteuil.
Mais ce tatouage là, je ne le vois pas, il est dans mon dos, je dois me retourner et regarder dans un miroir pour le voir.
En réalisant mes deux nouveaux tatouages, j'ai décidé que je les voulais à un endroit visible, je veux les voir.

C'est en écrivant cette note, en ce moment même que je viens de réaliser que l'un de mes nouveaux tatouages se trouve exactement sur l'emplacement de mon ancienne cicatrice de l'opération de mon hernie.

Finalement, un tatouage, c'est plus rapide qu'une psychanalyse et moins couteux. Et probablement plus efficace, dans mon cas.

Pendant quelques jours encore, je vais enduire mes blessures de crème et les emballer soigneusement avant d'aller au lit.
Dans quelque temps, elles seront cicatrisée et ne deviendront, à l'air libre, qu'une magnifique oeuvre d'art sur mon corps.
Il en est ainsi des blessures que nous savons assumer, elle se transforment.
C'est probablement pour cela aussi que j'ai fini par me faire tatouer un papillon alors que j'envisageais une libellule.

Naître, vivre, renaître.

Et le reste est littérature.