dimanche 24 juin 2012

Girl, you'll be a woman soon.

Nous avons perdu les élections. Nous avons des problèmes de croissance, de civilité, d'ordre public, de salafistes, et j'en passe. Mais nous avons gagné une patrie parce que que nous le voulions ou pas, rares sont parmi nous qui se souciaient du bien de pays. Nous avons une raison de vivre, nous parlons de croissance, de droit, de liberté. Nous avons quelque chose pour laquelle nous nous battons et pour beaucoup d'entre nous, nous avons enfin, une vraie raison de vivre. 

Nous n'avons pas encore perdu, nous avons juste perdu notre insouciance et notre tranquillité et nous avons gagné le droit de nous battre pour notre pays.
Je connais pas de combat plus noble.
 Et le reste est littérature.

lundi 11 juin 2012

Signe ostentatoire de cul..t..ure

Dans notre hystérie collective permanente, nous avons l'habitude maintenant de ces faits divers qui prennent des allures d'évènements dans notre quotidien.
Plus rien ne défraie la chronique chez nous, tout étant porté au sommet de l'actualité, une agression, un braquage, un mot de travers et le pays tout entier s'en émeut, Facebook en fait un ras-de-marée, les pseudo journaux sérieux ou pas reprennent infos, intox et en font leurs choux gras. Et même mon humble personne, ici-bas sur ce blog que personne ne lit ou presque, je viens en griffonner deux ou trois mauvaises blagues.
Hier soir donc, dimanche 10 juin, une horde de nos amis salafistes (sans lesquels notre quotidien serait d'un ennui mortel dans la mesure où les problèmes économiques du pays n'attisent les passions de personne), s'est attaquée au Printemps des Arts.
Enfin quand je dis une horde, comprenez entre 5 et 200, armés jusqu'aux dents ou pas, les versions diffèrent et il semblerait que les quelques 500 spectateurs de la scène n'aient pas tous reçu la même paire d'yeux, à moins que certains effets démultiplicateurs de la perspective nous soient encore inconnus.
Quoiqu'il en soit, -je polémiquerai un autre jour sur les relations dangereuses entre le fantasme et le réel- nos amis les salafistes ont estimé que certaines œuvres portaient atteinte à l'Islam et sont venus exprimer, d'une façon ou d'une autre, ce point de vue.
Outre le fait que je leur reproche de ne pas être venus à la session 2011, particulièrement mauvaise à mon goût, et qui méritait d'être largement huée, je trouve insupportable les effets qu'une telle présence a eu sur les gens et en particulier sur cette société facebookinne qui se prend pour le nombril du monde et que je ne vais pas trop mettre à mal ici puisque c'est de leurs partages que dépendra l'avenir de cet article.

Les cris d'alarme ont retenti, la société civile s'est mobilisée, le Palais Abdelya s'est rempli de citoyens, de politiciens, d'artistes, de curieux aussi. Je ne trouve que du positif à ces rassemblements, que la menace ait été exagérée ou pas, qu'elle soit réelle ou pas, la question ne se pose pas en réalité, tout mouvement de solidarité, de soutien, toutes possibilités de rencontres, de dialogues, d'échanges ne peuvent être que bénéfiques dans une société où nous avons été dressés pour avoir peur les uns des autres, pour nous méfier les uns des autres et dans une société où les prémices de la liberté d'opinion et d'expression ont démoli des familles et des amitiés à jamais depuis l'année dernière.
Je note au passage d'ailleurs que le mouvement même des salafistes, d'un point de vue structural est également un mouvement de solidarité, d'échange et de dialogue. Ce qui pourrait être intéressant, sur le moyen terme serait de croiser ces deux mouvements de solidarités opposées, mais là on entrerait dans l'ère de la civilité, ère pour laquelle notre pays n'est pas encore prêt et que la volonté politique de nos gouvernants ne laisserait jamais s'instaurer. Mais passons, il est permis de rêver.

Entre ces deux masses de convictions qui s'affrontent, il y a la masse. LA Masse, ma préférée, la vraie masse, la masse majoritaire, celle du "oui, mais".
Le "mais" ici n'a pas valeur de nuance, mais bien d'opposition. C'est à dire que pour cette masse-là, il y a intrinsèquement les deux autres masses qui s'affrontent; la masse "liberté l'expression" et la masse "salafiste au fond des yeux". C'est un tantinet romantique, c'est vrai, mais je ne connais rien de plus romantique que deux passions qui s'affrontent en un même esprit, même mauvais.
"Oui, mais il ne faut pas oublier que nous sommes musulmans"
Comment diable, pourrions-nous l'oublier alors que tout le monde passe son temps, dilapide son énergie et la notre à nous le rappeler? "Oui, mais nous sommes musulmans" "Oui, MAIS, il ne faut pas OUBLIER que nous sommes musulmans"!
Ils me font penser au poisson rouge, la fameux poisson rouge dont la mémoire n'excède pas les dix secondes et je les imagine faire le tour de leur bocaux et tomber nez à nez avec une inscription qui dit "nous sommes musulmans" et bam! N'oublions pas que nous sommes musulmans, s'il vous plait, MU-SUL-MANS!

Je peux en déduire que ceux qui ne cessent de nous le rappeler à nous, sont ceux qui ont peur de l'oublier. J'aimerais leur dire de ne pas s'inquiéter, nous le savons, nous savons qui nous sommes et nous le savons si bien qu'aucun tableau, aucun article, aucune vidéo ne vient perturber ou fragiliser notre identité. Nos convictions profondes ne sont ébranlées par aucun sacrilège, ni par une œuvre d'art ni pas les appels de meurtres des salafistes. Nous ne sommes pas dans un bocal, nous ne sommes pas des poissons rouges, la foi n'est pas une question de mémoire, la foi n'est pas rationnelle, n'est pas raisonnable, la foi est inébranlable et n'a pas besoin d'arguments. Tout comme l'amour.
Au sein de cette masse du "oui, mais" on retrouve un grand nombre d'intellectuels, ou de personnes cultivées, voire brillantes. Ils vous exposent leur savoir, leur culture, vous citent des auteurs, plaident la liberté d’expression, de culte et finissent par un "oui, mais... il ne faut pas oublier que nous sommes musulmans et qu'il ne faut pas toucher au sacré ET qu'il faut respecter notre religion et que et que et que..."
Si la culture, -les lectures, le cinéma, le théâtre- n'imprègne pas l'individu, si elle ne lui permet pas d'asseoir sa personnalité, de savoir qui il est et qu'il continue à se sentir mis à mal par toute forme de culture qui ne conviendrait pas à ses vues religieuses, à quoi sert donc cette culture?
La culture ostentatoire, c'est ce que Barthes appelait le snobisme culturel, c'est le fait de savoir ce qu'il faut savoir, d'avoir lu ce qu'il faut avoir lu, d'avoir vu ce qu'il faut avoir vu. C'est quand la culture n'est plus une construction intime mais une condition d'insertion sociale, d'appartenance à des groupes sociaux. C'est la théorie de la distinction; Bourdieu l'a longuement expliquée, les pratiques culturelles servent à abolir les frontières entre les groupes sociaux et l'impossibilité de la transgression de certaines frontières est due à l'importance cruciale et incontournable de l'imprégnation. Car justement, cette culture de surface, celle qui sert à dire oui je suis cultivé mais, MAIS n'oublions pas que nous sommes musulmans, est celle où l'on n'as pas su s'imprégner et ce qu'on a lu, vu, entendu.
Elle est semblable en tous points à la religion quand celle-ci devient affaire de vêtement, d'apparence, quand la foi n'est plus questionnée, quand ce sont les preuves de cette foi qui importent.

Ce n'est plus de convictions qu'il s'agit mais d'arguments.

Cela me rappelle ces personnes qui veulent vous prouver que Dieu existe en faisant du calcul d'épicier. Regarde le nombre de mots dans le Coran, c'est un miracle mathématique! (d'ailleurs si j'en avais l'hystérie et la patience, je vérifierai un jour), regarde dans le Coran Dieu a parlé du big bang, c'est une preuve, non?

Ceux qui ont besoin d'arguments pour nous prouver que Dieu existe ont surtout peu de conviction. Quelle vaine et douloureuse tentative de faire face à l'inconnu, au néant, au chaos qui les habite. Et quelle haine, quelle colère, quelle envie ils éprouvent à l'égard de ceux qui n'ont nul besoin d'arguments pour être sereins dans leur foi, ou dans leur athéisme (l'athéisme n'est-il pas une forme de foi?); ceux qui n'ont pas besoin qu'on leur rappelle qui ils sont, ni en quoi ils sont supposés croire, ni ce qu'ils doivent défendre pour continuer à être des musulmans.

En définitive les passions qui s'affrontent restent celles de l'être et du paraitre. Aussi bien en matière de religion qu'en matière de culture, certains savent qui ils sont, les autres veulent juste le paraitre.

Et le reste est littérature.