samedi 10 avril 2010

Cauchemar en scène

J'ai pu voir, hier, la nouvelle pièce de Fadhel Jaibi et de Jalila Baccar, Yahia Yaïch.
Excellente pièce, à mon humble avis. J'ai quelques réserves sur son rythme, un peu lent sur les scènes intermédiaires (j'avais envie de dire quelques plans, ou quelques séquences, le cinéma obsède mes pensées.) Qualité de jeu exceptionnelle, belle écriture.
Mauvais son par moments, soucis techniques, qualité des haut-parleurs, on ne va pas chicaner dessus, le sur-titrage permettant de rattraper les paroles que l'on aurait ratées.

Je ne m'attarde pas sur la pièce, je conseille vivement d'aller la voir, je vous garantis une émotion et l'émotion est devenue rare de nos jours.

L'objet de ma note est un petit incident qui est arrivé à une amie très proche qui m'a accompagnée à ladite pièce.

Fadhel Jaibi se joue des codes conventionnels du théâtre. Aussi, le lumière est-elle restée allumée pendant un bon moment au début de la pièce, les acteurs ne surgissent pas sur scène mais entrent dans la salle par les mêmes portes que le public et traversent ce public lentement en regardant les visages.
Je n'ai pas été étonnée par cette entrée, ni surprise, je me demandais tout simplement comment ce silence et cette marche observatrice des comédiens allait être interrompue, je m'attendais à des cris, ou un grand bruit. Il y a, en effet, eu, dès la montée sur scène des comédiens des bruits de coups de feu et nous avons tous sursauté. Certains en ont même ri.

Mon amie m'a avouée à la sortie qu'elle avait eu tellement peur qu'elle avait failli s'évanouir.
Au moment où les comédiens sont entrés dans la salle, elle en avait surtout vu deux. Des hommes, en costume sombre portant une barbe de quelque jours.
Et mon amie n'a pas compris que le spectacle venait de commencer. Elle a cru que c'étaient des intégristes islamistes venus pour nous tuer.

Cette pensée l'a tellement terrifiée et terrorisée que même lorsque les comédiens sont montés sur scène, elle n'a pas réalisé la présence de Jalila Baccar, de Fatma Ben Saidane, elle était tétanisée et aux coups de feu, elle s'est simplement jetée par terre.
D'aucuns pourront la railler, ou invoquer une forme de naïveté.
Mais le fait est qu'aujourd'hui et bien que la Tunisie ne connaît aucune forme de violence de cette sorte, nous avons la peur au ventre. Parce que nous savons de quoi ces gens-là sont capables. Parce que certains blogueurs ont reçu des menaces de mort .
Parce que les comptes Facebook de tous ceux qui ont eu l'idée d'exprimer leur adhésion à une pensée autre que la pensée islamiste unique se sont vus tuer virtuellement par les djihadistes de la toile; parce qu'une personne s'est vue menacer pour avoir publié une recette de cuisine contenant du porc, parce que nous risquons d'être dénoncés, piratés, attaqués pour la simple raison que nous sommes fiers de la Tunisie que nous avons toujours connue et son exception culturelle.
Parce que mon amie a associé culture et art à danger de mort, elle a pensé que le simple fait d'entrer dans un théâtre mettait sa vie en danger.

La première scène de la pièce est un cauchemar.

Puisse ce cauchemar ne jamais commencer.

Préserver notre pays, notre liberté de pensée, c'est préserver nos vies.

Le droit de penser est un droit à la vie.

Et le reste est littérature.

2 commentaires:

  1. Bravo. Bel article.
    Anecdote très significative je trouve.

    J'ai twitté ta note. Elle mérite vraiment d'être lue.

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  2. J'ai vu la pièce et j'ai trouvé l'entrée très réussie parce qu'elle inverse les rôles, les acteurs (avec un regard de policiers) observent les spectateurs et vice versa, la suite est excellente à mon avis.

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